Lettre à toi mon enfant

Writing.jpgUne consultante-ressource du SIJE partage une lettre écrite à son fils de 4 ans durant la pandémie que nous vivons. Un portrait brut de la réalité d’être maman durant ces temps difficiles.

Cher fils,

Nous sommes le 2 mai 2020 et je tiens à t’écrire afin de ne jamais oublier un événement qui aura marqué la planète toute entière et qui aura grandement affecté ton monde à toi également.

Il y a sept semaines le monde s’est arrêté en raison d’un virus, le COVID-19. La garderie, où tu passais tes journées à t’émerveiller avec tes éducatrices et tes amis, est fermée. Elle est ouverte seulement pour les enfants dont les parents travaillent pour des services jugés essentiels. Chaque jour qui passe, tu me fais part de ton ennuie de ton éducatrice, de ton meilleur ami et de cette amie de la famille qui prenait si bien soin de toi les matins où maman devait aller travailler tôt. Ta petite routine, si importante pour toi, s’est envolée. Nous t’avons expliqué qu’une « grosse grippe » fait en sorte que nous ne pouvons pas visiter les gens, du haut de tes 4 ans, tu comprends, du mieux que tu peux, cette situation hors du commun.

Du jour au lendemain, maman et papa travaillent de la maison. Maman est consultante-ressource pour les Services d’inclusion pour jeunes enfants (SIJE) et papa est agent d’affaires pour le Conseil provincial (International) de la construction. Nous jonglons entre nos carrières professionnelles et notre rôle le plus important, celui d’être tes parents. Chaque matin, je me lève et j’ai une boule dans la gorge. Je sais que lorsque tu ouvriras tes petits yeux, tu me demanderas si je travaille aujourd’hui et si je vais jouer avec toi. Malheureusement, la réponse sera encore la même : « Maman et papa doivent travailler mon trésor, mais cet après-midi, nous irons jouer dehors ensemble. ». Tu es triste, je le vois et cela me brise le cœur. Tu t’amuses seul pour un court moment, tu regardes la télé et tu joues avec mon cellulaire. L’ironie dans tout ça, c’est que dans mon rôle de consultante-ressource, je recommande fréquemment que les parents/éducatrices préconisent du temps de qualité avec les enfants et soient disponibles pour jouer avec eux au lieu que les enfants restent devant un écran.

J’ai l’impression d’être le cordonnier mal chaussé. Entre deux courriels, tu as déjà mis le bordel dans la maison et je trébuche sur un de tes jouets dans le salon. L’impatience m’envahie et je te réprimande, tu fais les 100 coups et je te donne des conséquences, j’applique des mesures disciplinaires en sachant très bien au fond de moi, que je culpabilise, je me sens coupable de ne pas être disponible pour toi, de te laisser à toi-même, de ne pas jouer avec toi comme tu me l’as demandé au moins milles fois. Je le mentionne souvent dans les programmes où j’offre de l’aide aux enfants donc je sais que c’est une recherche d’attention, je sais que je ne t’offre pas la routine dont tu as grandement besoin. J’ai l’impression de trop souvent te demander d’agir en adulte et de faire preuve de compréhension. Une compréhension beaucoup trop élevée pour un enfant de 4 ans.

Mon équipe de travail, est très compréhensive et nous rédigeons beaucoup d’articles et de fiche-conseils pour supporter les familles avec lesquelles nous travaillons. Un article sur le support moral, un autre sur les routines que nous devrions adoptées avec nos enfants, des activités par centaines ainsi que des ressources communautaires pour occuper les touts petits. Un rappel que nous devrions, nous aussi, en tant que parent, prendre soin de nous.

Bref, de merveilleuses ressources que nous partageons pour mettre un baume sur le cœur des familles. La consultante-ressource en moi voit bien que tous ces conseils manquent de vérité. La réalité est que je ne suis pas la meilleure mère présentement et que je ne suis pas à la hauteur dans mon travail également. J’ai l’impression de perdre l’équilibre un peu plus chaque jour. Je sais qu’il y a des familles que je supporte qui ont grandement besoin d’aide pour leurs enfants et que les services d’appuis qu’elles recevaient ne sont plus en place. Du jour au lendemain, les familles doivent pallier le manque de ressources en devenant l’orthophoniste, l’ergothérapeute, la physiothérapeute et la consultante en comportement, la psychothérapeute et l’éducateur(trice) de leurs enfants.

Ils regardent attentivement toutes les belles recommandations que nous leurs envoyons, ils les reçoivent avec tant de reconnaissances mais, au fond d’eux, ils se sentent envahis de culpabilité. La même culpabilité qui m’envahie, un peu plus de jour en jour. Cette culpabilité de ne pas avoir le temps, la patience, le matériel, les bonnes méthodes ou encore l’imagination pour combler ce vide dans ta vie présentement. Ces familles, tout comme la nôtre, tentent du mieux qu’elles peuvent et au meilleur de leurs connaissances de pallier ce manque de ressources, cependant nous sommes dans une situation sans précédent et la vérité est que personne ne peut nous guider. L’anxiété face à l’inconnu est plus grande que jamais. On se demande quand nous retrouverons une vie normale et quand nos enfants pourront retrouver leurs routines. Une chose est certaine, c’est que, malgré tous nos efforts, plus rien ne sera comme avant.

Cette semaine, le gouvernement du Québec a annoncé la réouverture des garderies et des écoles primaires. J’étais en furie, je dois l’admettre. En furie, car même si je suis impatiente que tu puisses revoir tes amis et ton éducatrice afin que ton développement social et affectif s’épanouissent, je ne veux pas compromettre ta santé. Un débat intérieur est surgi en moi. Je sais très bien à quel point le développement social est primordial et que c’est une étape importante dans la vie d’un enfant. Je le recommande souvent à des familles qui hésitent à envoyer leurs enfants en garderie avant l’entrée scolaire. La routine est tellement importante et les outils d’apprentissages qui sont enseignés à la garderie sont essentiels. L’incertitude face à ce virus, ta condition médicale ainsi que ma grossesse, font malheureusement en sorte, que tu ne retourneras probablement pas à la garderie avant le mois de septembre.

Mon cœur de maman pleure car je sais que tu manques énormément cet environnement et que même si j’essaie de le recréer à la maison, ça ne compense pas le manque de tes amis et de ton éducatrice. Je ne peux m’empêcher de me demander comment les familles avec lesquelles je travaille pourront prendre une décision qu’ils assumeront totalement. Moi, je suis incapable de l’assumer à 100%. Ce sera des choix déchirants pour les familles qui devront choisir entre des services essentiels pour le bien de leurs enfants et le maintien de la santé de leur famille. Il y aura des avantages et des désavantages, peu importe la décision que les familles prendront, les jugements de la société s’en mêleront, la nature humaine est ainsi faite. Plus que jamais, le rôle de consultante-ressource sera d’épauler ces familles et de soutenir cette transition vers un monde nouveau.

Notre quotidien a changé et notre futur est incertain. Nous sommes plus souvent à la maison, mais avons moins de temps à consacrer à nos enfants. Nous avons moins de dépenses à assumer mais moins de stabilité de revenus. Nous cherchons une stabilité dans un monde instable. Chaque famille vit cette période de pandémie et ont des réalités différentes. Une chose est certaine, je te fais la promesse que nous en sortirons grandis et beaucoup plus résilients.

La grandeur de l’homme se mesure aux défis qu’il surmonte. Je suis convaincue, qu’un jour nous nous assoirons tous ensemble et nous nous rappellerons de cet événement. Nous te raconterons comment la vie était avant cette pandémie et tu n’en croiras pas tes oreilles! Les mesures d’hygiènes, l’environnement, le domaine de la santé, le domaine de l’éducation et la reconnaissance de tous les métiers feront partis du sujet. Nous partagerons des anecdotes cocasses de notre temps en confinement, tu en riras aux éclats, c’est certain. Mais en attendant ce jour, je veux que tu saches que nous, tes parents, avons pris des décisions déchirantes pour assurer ta sécurité, que nous portons le sentiment de culpabilité de ne pas pouvoir te consacrer toute notre attention, que mon cœur de mère est inquiet et qu’il m’arrive de pleurer, que je me couche tous les soirs en espérant que tu ne m’en veuilles pas trop de ne pas avoir jouer avec toi comme tu le désirais et que tu me pardonneras d’avoir élevé la voix lorsque j’ai pilé sur ton jouet que je t’avais demandé de ramasser au moins 5 fois. Je te fais aussi la promesse que nous prendrons le temps pour visiter notre famille, dès que nous le pourrons, car s’il y a une chose que nous aurons apprise durant cette tourmente, c’est que les relations humaines et le contact humain, ne doivent jamais être pris pour acquis. Lorsque nous retrouverons notre liberté et que la nature nous permettra de crier victoire, je te serrerai très fort dans mes bras et je te dirai à quel point j’ai eu peur. Je te regarde du haut de tes 4 ans et je remets en perspective nos valeurs et nos priorités. Je t’admire pour ta résilience et je jalouse ton innocence. Toi et les autres enfants, vous êtes nos petits héros du quotidien, même si ce dernier est plutôt gris ces temps-ci.

Stéphanie Falardeau, ÉPEI
Consultante-ressource du SIJE et maman